
Toujours aussi génial et audacieux, l’éminent écrivain Richard Powers nous entraîne en Polynésie française, où la nature et la biodiversité marine sont mises à mal.
On ne se lasse pas de le dire et de le redire: Richard Powers est un grand, grand écrivain. Le temps où nous chantions, La chambre aux échos, L’arbre-monde, Sidérations… D’un roman à l’autre, jamais il ne nous déçoit. Et d’un roman à l’autre, toujours il parvient à nous ébranler, à nous faire réfléchir. Pour Un jeu sans fin, son petit nouveau, on a même envie d’ajouter «à nous surprendre».
Pourquoi?
Parce qu’il nous entraîne dans un coin du monde dont on n’entend vraiment pas très souvent parler: Makatea, qui se trouve dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française. «J’ai lu sur cette île, sur son colonialisme, sur les gisements de phosphate qui ont été exploités jusqu’en 1966, sur le conflit opposant les gens qui avaient besoin de ces mines et ceux qui ne demandaient qu’à vivre dans un endroit sain, nous explique Richard Powers. Je trouvais qu’il y avait là une belle histoire politique qui ne demandait qu’à être écrite! Alors quand j’ai appris que l’entrepreneur et investisseur en capital-risque Peter Thiel avait signé un accord avec la Polynésie française pour explorer le seasteading [la création de villes flottantes autonomes], il a été clair pour moi que l’essentiel de l’histoire d’Un jeu sans fin devait se dérouler dans cette partie du monde.»
Une touche d’accent québécois!
Autre surprise? L’un des personnages principaux de ce formidable roman vient tout droit de Montréal.
«Je savais dès le départ que je voulais une plongeuse très âgée, une femme qui aurait assisté de près aux débuts de la plongée sous-marine, dit Richard Powers. Et pour ça, pour coller à la réalité historique, elle devait être soit en France, soit à Montréal.»
«Quand, juste après la Deuxième Guerre, l’ingénieur français Émile Gagnan est arrivé à l’usine d’Air Liquide dans le quartier Hochelaga, c’était l’un des deux seuls endroits où étaient fabriqués les scaphandres autonomes qu’il avait inventés avec Jean-Jacques Cousteau, poursuit Richard Powers. Montréal est une ville que j’adore pour son côté cosmopolite et quand il s’est avéré qu’il y avait ce lien historique avec le scaphandre autonome, j’ai pensé qu’il serait amusant de mettre dans le livre un peu de cet amour que je porte à Montréal!»
Ainsi naîtra Evie Beaulieu, qui se découvrira une passion pour la plongée le jour où son père ingénieur lui proposera, en novembre 1947, de tester le fameux scaphandre dans un bassin d’essai d’Air Liquide. Timide et craintive, Evie gagnera aussitôt en confiance et au cours des décennies qui suivront, elle finira par se tailler une place de choix dans le monde des océanographes.
Au bord du précipice
À sa façon si particulière, Richard Powers nous immergera ensuite dans l’univers de Todd Keane et de Rafi Young, deux brillants étudiants issus de milieux diamétralement opposés.
Le premier, Blanc, a grandi dans le luxe; le second, Noir, a eu une enfance dont personne ne rêverait. Mais grâce à ses excellentes notes et à son QI hors-norme, Rafi sera accepté dans une école privée. Là-bas il rencontrera Todd, avec lequel il disputera un nombre incalculable de parties d’échecs et de jeu de go. Et puis ils se perdront de vue: Todd se lancera corps et âme dans l’informatique et l’intelligence artificielle, tandis que Rafi se tournera vers la littérature et préfèrera se retirer du monde en allant s’établir à Makatea avec femme et enfants. Un petit paradis jusqu’à ce qu’un consortium californien débarque avec le projet de construire une usine dans laquelle seraient fabriqués les éléments modulaires d’une ville flottante…
«Si on écrit un roman sur le présent, on ne peut pas ignorer qu’on se trouve au milieu de deux catastrophes, ajoute Richard Powers. On a hérité de cette culture occidentale capitaliste et individualiste, qui laisse croire que l’être humain est une chose indépendante et autonome, et qu’il est la seule créature intéressante. Cette illusion, cet état d’esprit d’exceptionnalisme humain est à l’origine des catastrophes climatiques et de l’extinction des espèces que nous avons déclenchées dans le monde. Toutefois, je ne pense pas qu’il soit particulièrement utile pour l’art de dire que nous sommes en difficulté, que nous n’y arriverons pas. Comment pouvons-nous ouvrir notre esprit à ces défis? Un jeu sans fin est un livre sombre, mais pas un livre désespéré. Car il existe une autre façon d’être sur terre et qui est très différente de celle qu’on nous a inculquée.»
Photo fournie par les Éditions Acte Sud
Un jeu sans fin
Richard Powers
Éditions Actes Sud
416 pages
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