
Une exigeante enquête journalistique dévoile dans un nouveau livre comment la compagnie québécoise qui dirige le populaire site pornographique Pornhub a pu, sans grandes conséquences, s’enrichir pendant des années grâce à des vidéos d’abus d’enfants ou de victimes non consentantes. Nora T. Lamontagne et Jean-François Cloutier du Bureau d’enquête expliquent le travail acharné qu’ils ont fait avec leur collègue recherchiste Nicolas Brasseur pour L’empire du sexe: La grande enquête sur Pornhub.
• À lire aussi: «Je regrette d’avoir codé Pornhub, vu ce que c’est devenu»
Pourquoi un livre sur Pornhub?
NTL: Il s’agit quand même d’un des 20 sites les plus visités dans le monde entier. Comme Amazon, Twitter, Apple, Pornhub est aussi un géant du web. On dirait qu’on ne s’y était pas intéressé, parce que la pornographie, c’est tabou. Mais cette plateforme a permis que des vidéos illégales quasi impossibles à effacer du web soient diffusées à des millions de personnes. Le livre démontre que les dirigeants n’ont agi qu’au moment où leurs revenus ont été mis en péril.
JFC: On constate qu’au Canada, rien n’a été fait contre la société mère [MindGeek, devenue Aylo]. Les corps policiers ne sont pas du tout outillés pour se pencher sur Pornhub. La compagnie a aussi habilement prétendu, pendant longtemps, qu’elle n’était pas canadienne et que donc elle n’avait pas à se conformer à nos règles.
Quels ont été les défis de ce projet?
JFC: Il s’agit d’une compagnie qui est tellement opaque. Je suis au Bureau d’enquête depuis 2013, et ç’a été un des projets les plus difficiles. On a recherché des gens à qui parler. Malheureusement, une grande partie des dirigeants de la compagnie, présents et passés, ont refusé de nous parler. J’ai eu quelques nuits de sommeil agitées à me demander si on réussirait à écrire un livre.
NTL: On voulait aussi s’assurer que la voix des victimes se retrouve dans ce livre, mais ça n’a pas été facile. Il a fallu les trouver, les convaincre. Ç’a pris des mois avant qu’on puisse faire des entrevues avec trois femmes qui se sont retrouvées sur Pornhub à leur insu.
Nora T. Lamontagne, Jean-François Cloutier et Nicolas Brasseur.
Photo Agence QMI, JOEL LEMAY
Photo Agence QMI, JOEL LEMAY
Comment avez-vous obtenu vos informations?
NTL: Puisque personne n’a voulu nous raconter l’histoire de A à Z, il a fallu aller piger partout où on pouvait, dont dans des forums obscurs ou en parlant à d’anciens employés, même au designer d’intérieur de leur premier bureau. Nicolas Brasseur, recherchiste au Bureau d’enquête, a réussi à obtenir des milliers de pages de documents judiciaires aux États-Unis, où il y a des poursuites civiles.
JFC: On a trouvé des articles publiés jusqu’en Allemagne, derrière des murs payants, des entrevues diffusées sur YouTube. Simplement avoir les chiffres, leurs revenus, il y avait un paquet de fausses informations qui circulaient. On a eu une masse considérable de documents à traiter et analyser.
Photo ADOBE STOCK
Quelle est la suite pour Pornhub?
NTL: L’enquête évoluait pendant l’écriture, jusqu’à l’envoi à l’impression. Donc, cette histoire n’est pas finie. Il y a encore des poursuites judiciaires en cour, la réglementation des géants du web qui est en mouvance ici.
JFC: On est allés le plus loin qu’on pouvait, il n’y a pas une pierre qui n’a pas été retournée. Maintenant, la balle est dans le camp des procureurs, des policiers, des autorités, parce que je suis certain qu’il y a des choses très importantes qui n’ont pas encore été dévoilées.
Le livre sort en librairie le 12 mars au Québec et le 13 mars en France.
Discover more from
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Be the first to comment