
Principalement connu pour ses formidables carnets de voyage (Shenzhen, Pyongyang, Chroniques de Jérusalem), le Québécois établi en France depuis le début des années 1990 Guy Delisle publie ces jours-ci Pour une fraction de seconde : la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge, une épatante biographie sur le pionnier de la photographie et de l’animation.
«J’ai connu le travail de Muybridge lorsque j’ai fait mes études en animation au Sheridan College en banlieue de Toronto. Nous avions tous son livre. C’est d’ailleurs une référence à ce jour», lance le bédéiste dans les coulisses du kiosque de son éditeur au Festival d’Angoulême, quelques instants avant une séance de dédicaces pour ses nombreux admirateurs.
«Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai appris l’histoire de sa vie. Je me suis dit que ça ferait un bon album», poursuit-il. Et il avait bien raison.
Comme plusieurs pionniers, Muybridge a été oublié de l’Histoire. Tout au plus, les artisans du cinéma, de l’animation et de la photo l’ont fréquenté à travers quelques rares ouvrages en langue anglaise.
Une vie insolite
Tour à tour libraire, paysagiste, reporter, panoramique, inventeur, conférencier et assassin (celui de l’amant de son épouse !), l’anglais expatrié aux États-Unis en 1855 qui s’est retrouvé au cœur de la révolution de l’image a eu une vie rocambolesque.
Son haut fait? Avoir réussi à assouvir l’obsession d’un riche industriel ayant fait fortune dans les chemins de fer, reconverti en entraîneur de chevaux en prouvant, par la photographie, qu’un cheval au galop quitte le sol un bref instant. Ce qui était loin de faire consensus à l’époque.
Le procédé complexe et onéreux par lequel le photographe parvient à créer sa preuve est d’une renversante modernité. Le film La Matrice en a fait usage, notamment dans la scène mythique où Leo évite les balles.
En décomposant le mouvement du galop d’un cheval avec 12 caméras, c’est essentiellement le cinéma que Muybridge invente. D’un art statique qui fixait le temps, il en crée un de mouvement qui le réactive.
Illustrations, photos et flip book
Solidement documenté sans jamais être lourd, le récit de Delisle se dévore d’un seul trait tant il est passionnant. À la manière de l’album Le Photographe d’Emmanuel Guibert, l’artiste parsème le tout de photos, validant ainsi ce qui est raconté.
«C’est en cours de réalisation de l’album que cette idée m’est venue, confie l’artiste. Ça m’a paru essentiel. Je ne souhaitais toutefois pas les mêler aux illustrations, c’est pourquoi elles sont sur des pages à part.»
Ce procédé, qui à aucun moment nous sort de l’hypnose de lecture, propose autant de fenêtres sur le passé qui créent une fascination.
Delisle s’amuse également à insérer deux séquences de photographies dans des médaillons en marge des pages qui s’animent lorsque l’on tourne rapidement les pages, témoignant avec justesse le moment de l’Histoire où la science a amorcé un glissement irréversible vers le divertissement.
«Pourtant, plein de gens ne le voient pas!» s’amuse Delisle. «C’était surtout l’occasion d’ajouter une troisième dimension au papier et de faire l’expérience du mouvement en bande dessinée.»
Bien qu’il ne soit pas reparti avec une prestigieuse statuette lors de la remise de la récente remise de prix d’Angoulême – ce qui fut le cas en 2012 pour Chroniques de Jérusalem –, Pour une fraction de seconde: la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge n’en demeure pas moins le meilleur album de sa carrière.
Éditions Delcourt
Pour une fraction de seconde: la vie mouvementée d’Eadweard Muybridge
Guy Delisle
Éditions Delcourt
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Éditions La Pastèque
Question de mesurer le chemin parcouru de Guy Delisle en près de 40 ans de carrière, les éditions de La Pastèque proposent une réédition de Comment ne rien faire, une anthologie essentiellement composée de travaux publiés dans différentes revues entre 1996 et 2006. Delisle y fait ses gammes, notamment par le truchement de recherches formelles et esthétiques, tout en témoignant déjà d’un sens indéniable de conteur, laissant ainsi présager l’artiste majeur qu’il est rapidement devenu. Et c’est dans un joli et fort réjouissant format poche permettant de maintenir des titres majeurs au catalogue à petits prix que ce classique de la bande dessinée québécoise nous est offert dans sa quatrième incarnation. À lire et relire sans modération.
Comment ne rien faire
Collection Poche 02
Guy Delisle
Éditions La Pastèque
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